Agent
conversationnel
L’accès aux services de santé n’est pas toujours simple, et il devient encore plus complexe lorsque ces services sont numériques. Pour le Ministère de la Santé et la Direction de la Transformation Numérique (DGTI), faciliter cet accès constituait une priorité stratégique.
J’ai rejoint la DGTI pour soutenir l’équipe de conception dans le développement d’une plateforme numérique destinée à devenir la porte d’entrée des citoyens du Québec vers les services de santé.
Lors de la phase initiale et avec un regard UX, le projet visait à comprendre les comportements et besoins des citoyens recherchant des soins de première ligne — prévention, promotion de la santé, suivi de problèmes de santé courants, accès aux médecins et infirmiers — tout en identifiant parallèlement les besoins des équipes internes chargées de délivrer ces services : médecins, infirmiers, personnel administratif, etc.

Mon rôle
Le projet a été structuré en plusieurs modules afin de faciliter le développement et optimiser les délais. J’ai participé à plusieurs d’entre eux, notamment la page d’accueil, l’onboarding, la connexion et création de compte, ainsi que le tableau de bord.
Ma responsabilité principale a été la conception d’un agent conversationnel intégré à la plateforme. Cette solution avait pour objectif de guider les utilisateurs, de les accompagner à chaque étape de leur parcours, et de rendre l’expérience globale plus simple, humaine, empathique et accessible.
À la découverte
Dans le cadre du projet principal, j’ai participé à plusieurs activités visant à recueillir de l’information directement auprès des citoyens, et plus particulièrement des patients. Pour ce faire, on a collaboré avec l’équipe du CEPPP (Centre d’Excellence sur le Partenariat avec les Patients et le Public). Ensemble, on a participé à différentes consultations citoyennes réunissant des patients de divers âges et conditions. Chaque rencontre abordait un thème précis : l’expérience vécue avec les solutions numériques en santé, la télémédecine, l’usage de chatbots dans le parcours de soins, entre autres.
Parmi les résultats les plus pertinents pour le projet de l’agent conversationnel, on relève les points suivants :
Méfiance générale : Les utilisateurs font preuve d’une confiance limitée envers ces outils, en raison de mauvaises expériences précédentes dans des secteurs tels que la banque ou les services administratifs locaux (par exemple, les mairies). Dans de nombreux cas, leurs questions sont restées sans réponse ou les réponses fournies étaient ambiguës.
Problèmes de communication : Le langage employé par les agents conversationnels n’est pas toujours clair ni facilement compréhensible, ce qui complique l’interaction avec les utilisateurs.
Préoccupations liées à la santé : Certains utilisateurs expriment des craintes suite à des informations relayées sur l’utilisation de chatbots dans le secteur de la santé, où des résultats négatifs, parfois graves, ont été observés.
Protection des données personnelles : Les utilisateurs manifestent des inquiétudes quant à la gestion de leurs données et à leur confidentialité.
Le profiles des utilisateurs
La possibilité de travailler sur plusieurs projets en parallèle m’a permis de recueillir des informations riches et pertinentes, essentielles pour comprendre les enjeux, comportements et besoins des utilisateurs face aux outils numériques. Ces données ne concernent pas uniquement le domaine de la santé, mais aussi des aspects du quotidien comme les achats en ligne, le divertissement, les réseaux sociaux ou l’éducation à distance. Elles ont ainsi contribué à dresser un portrait précis des différents profils et groupes de citoyens susceptibles d’utiliser ces outils.
Concrètement, la création de Personas dans le cadre d’un plan de sensibilisation UX au sein de la DGTI (projet parallèle dont j’étais responsable) m’a permis de traiter ces données, de les analyser et de les intégrer directement à mon projet principal.

Comprendre les données

En combinant les informations de nos Personas avec des données socio-démographiques, des études scientifiques et universitaires, nous avons identifié 11 groupes de citoyens.
Nous avons ensuite trouvé une manière simple et efficace de partager les résultats de nos recherches. Concrètement, nous avons conçu une matrice qui illustre la position de chaque groupe selon deux axes principaux :
Axe 1 : Leur usage des services de santé (numériques ou non)
Axe 2 : Leurs compétences numériques
Cette approche nous a permis de déterminer quels groupes étaient les plus demandeurs de services et d’accès, et ainsi d’orienter le design de l’outil de manière plus pertinente et ciblée.
L'outil adéquate
Compréhension des chatbots : types, usages et caractéristiques
Afin de mieux comprendre le fonctionnement des chatbots et d’identifier celui qui correspond le mieux à nos besoins, nous avons analysé leurs principaux types, leurs usages ainsi que leurs avantages et limites. Nous avons distingué six catégories :
Chatbots basés sur des règles (scripts)
Chatbots à reconnaissance de mots-clés (pattern matching)
Chatbots fondés sur l’IA (NLP / Machine Learning)
Chatbots conversationnels (IA générative, ex. ChatGPT)
Chatbots hybrides (règles + IA)
Chatbots vocaux (Voicebots)
À la suite de notre analyse et de la collecte des retours utilisateurs, nous avons conclu que la solution la plus pertinente consiste à mettre en place un chatbot hybride. Ce modèle permet de garantir un langage simple et accessible pour les usagers, tout en étant efficace et reconnaissable pour le système. Une restriction essentielle est toutefois imposée : le chatbot ne doit en aucun cas formuler de recommandations médicales, prescrire des médicaments ou donner des consignes relatives à la santé.
Caractéristiques des chatbots hybrides
Les chatbots hybrides associent des scripts ou règles simples pour les tâches récurrentes avec des capacités d’IA pour gérer les situations plus complexes.
Avantages
Équilibre entre efficacité et flexibilité.
Clarté dans les tâches répétitives : les parcours basés sur des règles réduisent les ambiguïtés dans les processus sensibles (paiements, réservations, mises à jour de données).
Souplesse conversationnelle : l’IA interprète les questions libres et s’adapte au langage naturel de l’utilisateur.
Réduction de la frustration : évite les blocages fréquents des chatbots entièrement basés sur des règles.
Image de marque améliorée : grâce à un ton plus humain et naturel, renforcé par l’IA générative.
Continuité de l’expérience : le système choisit automatiquement entre règles, IA ou transfert vers un agent humain.
Inconvénients
Complexité de conception et de maintenance : nécessite de cartographier les parcours critiques, d’entraîner l’IA et de maintenir les deux systèmes à jour.
Incohérence du ton de voix : l’utilisateur peut percevoir une différence entre les réponses prédéfinies et celles générées par l’IA.
Risque de confusion : si la logique n’est pas claire, l’utilisateur peut ne pas savoir s’il se trouve dans un flux guidé ou dans une conversation ouverte.
Temps de réponse plus long : le passage par plusieurs couches (règles → IA → humain) peut allonger la latence.
Coût élevé : mobilisation accrue de ressources techniques et humaines (infrastructure, orchestration, entraînement et supervision).
Modes d’utilisation
À la suite de notre analyse, nous avons identifié plusieurs modes d’utilisation, en fonction des besoins et des objectifs des utilisateurs. Chacun présente ses avantages et ses inconvénients. Après consultation, nous avons choisi une approche mixte, permettant d’intégrer différents modes d’usage et ainsi de rejoindre un plus grand nombre de personnes.
Fenêtre latérale réduite
(widget flottant ou pop-up)

Usages fréquents : sites d’e-commerce, services bancaires en ligne, assistance clientèle.
Avantages :
- N’interrompt pas la navigation principale.
- Permet de poser des questions tout en poursuivant l’utilisation du site.
- Léger, rapide et toujours accessible (souvent placé en bas à droite de l’écran).
Inconvénients :
- Espace restreint, peu adapté aux conversations longues ou complexes.
- Difficulté à afficher des informations riches comme des graphiques ou des documents.
Fenêtre en plein écran (interface dédiée, comme ChatGPT ou les applications de messagerie)

Usages fréquents : applications web et mobiles, outils de productivité, chatbots conversationnels avancés.
Avantages :
- Offre un espace suffisant pour des échanges longs, l’affichage de documents, d’images ou de code.
- Expérience immersive : l’utilisateur se concentre uniquement sur la conversation.
- Possibilité d’intégrer des fonctions avancées (historique, recherche, partage de fichiers).
Inconvénients :
- Exige plus de temps et d’attention, moins pratique pour une demande ponctuelle.
- Peut sembler « lourd » lorsque l’utilisateur recherche seulement une réponse rapide.
Co-création en action
J’ai conçu plusieurs prototypes wireframe afin de définir l’intégration de l’agent au sein de l’interface de la plateforme, en précisant les éléments et outils à inclure. Notre approche consistait à combiner deux modes d’utilisation et à ajouter des fonctionnalités permettant aux utilisateurs de s’informer, partager, explorer et communiquer de manière rapide, fluide et ergonomique.
Parallèlement, certains éléments essentiels devaient être présents tout au long du parcours utilisateur. Il était prioritaire de clarifier les limites de l’agent et de permettre aux utilisateurs d’accepter les conditions d’utilisation, afin de renforcer la confiance, la transparence et la sécurité tout au long de l’expérience.

Faire simple, faire juste
Une fois la phase de construction terminée, nous avons intégré nos idées dans les maquettes. Parmi toutes les propositions formulées, nous avons retenu uniquement l’essentiel pour le MVP. À ce stade, nos priorités étaient les suivantes :
Orienter les utilisateurs vers les services les plus appropriés.
Fournir des sources vérifiées et approuvées afin d’assurer des informations fiables.
Garantir une navigation rapide et efficace, adaptée aux besoins de chaque utilisateur.
Proposer des modes d’utilisation flexibles, permettant d’explorer selon leurs intérêts.
Informer sur les limites de l’outil, afin de fixer des attentes claires.
Intégrer des fonctionnalités ergonomiques et adaptées à l’expérience utilisateur.
Encourager la rétroaction constante, pour soutenir l’amélioration continue.

Structure de l'outil
Version : Fenêtre latérale réduite ou flottante (Desktop)


Maquettes

Le test
Le chatbot a été conçu pour orienter les citoyens vers les services de santé appropriés, leur fournir des sources fiables et faciliter une navigation simple et ergonomique. L’objectif principal du test était d’évaluer :
La facilité d’utilisation du chatbot.
La rapidité et l’efficacité de la recherche d’information.
La satisfaction générale des utilisateurs.
Méthodologie
Participants : 8 utilisateurs (25 à 60 ans), tous avec une expérience variée des outils numériques.
Dispositif : test à distance sur Figma (desktop)
Tâches principales :
- Comprendre l’interface et les messages d’avertissement ainsi que les trois sujets suggérés.
- Poser deux questions au chatbot sur le diabète de type 2.
- Accéder à un lien externe recommandé et revenir à la plateforme.
- Évaluer l’expérience globale avec le prototype.
Après chaque tâche, les participants ont rempli un court questionnaire (échelle de 1 à 5).
KPIs suivis
- Taux de succès des tâches
- Taux d’abandon
- Satisfaction perçue (échelle Likert)
- Commentaires qualitatifs
Résultats
- Taux de succès : 85 % des utilisateurs ont complété les tâches sans aide.
- Temps moyen par tâche : 1 min 40 sec (objectif < 2 min atteint).
- Taux d’abandon : 15 % (principalement lors de la recherche de liens externes).
- Satisfaction générale : 3.8 / 5
Commentaires
“J’avais déjà utilisé des chatbots auparavant. Même si ce n’est qu’un test pour l’instant, je trouve que le résultat est acceptable. Je sais que l’IA est un outil complexe, mais si elle n’est pas exploitée correctement pour faire une réelle différence, pour moi ça ne change pas grand-chose.”
“Je ne suis pas sûr de vouloir aller sur des pages externes, ça me donne l’impression que c’est juste un chat informatif. Ce que je cherche, ce sont des réponses concrètes sur ma santé, pouvoir prendre des rendez-vous médicaux ou parler à une infirmière.”
“J’ai aimé que les liens externes pointent vers des sources fiables comme celui de diabète Québec. Le bouton pour y accéder est pratique et rend la navigation très simple.”
“Franchement, je n’aime pas que le chatbot serve seulement à accéder à d’autres sources. Ce serait bien de pouvoir prendre un rendez-vous médical directement ou parler rapidement avec quelqu’un pour obtenir des conseils. Là, je ne suis pas totalement convaincue.”
Mes réflexions
J’ai beaucoup apprécié participer à ce projet, qui m’a permis d’apprendre énormément. Même si ma collaboration au sein de l’équipe de la DGTI a pris fin, je suis fier d’avoir contribué à construire quelque chose d’important pour les citoyens.
Je me suis senti à l’aise tout au long des différentes étapes et ai particulièrement apprécié la phase de création, où j’ai pu exprimer pleinement mon potentiel. Échanger avec les patients et les écouter a également été une expérience riche et surprenante.
J’espère que le projet continuera de se développer solidement et que les objectifs fixés seront atteints. Sur le plan personnel, cette expérience a été très enrichissante : j’ai eu l’occasion de collaborer avec des professionnels variés — du personnel de santé aux développeurs et concepteurs — avec lesquels nous avons conçu, débattu et construit ensemble.